Diagne Chanel

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Diagne Chanel Casamance

en process

Interview de Diagne Chanel, par l'écrivain Timba Bema

1. Pouvez-vous vous présenter ?
Je suis plasticienne ; Par ailleurs mon engagement pour les droits humains, m’a amené à entre autres, à écrire des articles d’analyse politique et ce faisant, à l’écriture.

2. Quel est votre lien avec l’écrivain Mapaté Diagne ?
Né en 1886, DM, n’a eu qu’une seule femme et un seul fils, mon père. Nous sommes avec mes deux sœurs, les 3 petites filles et les uniques descendantes. Le seul descendant qui restera après nous sera mon fils.

3. Comment avez-vous découvert l’œuvre de Mapaté Diagne ?
C’est une question intéressante, car cette découverte aurait dû faire partie de mon enfance, mais il n’en fut rien. C’est grâce à une commissaire d’exposition, Florence Alexis, qui fit des recherches autour de mon travail, Métis dans les Villes, que j’appris qui était Diagne Mapaté, celui que nous appelions, Grand père d’Afrique. J’ai su ainsi qu’il fut le premier écrivain de l’Afrique francophone à avoir publié un livre en France.

Jamais mes sœurs et moi n‘avons vu ce livre. J’ai pu obtenir en 2005 les photocopies des Trois volontés de Malic à la Bibliothèque nationale.

Sollicitée par l’institut français pour une exposition solo, j’ai proposé : Dakar, Paris, Quatre générations entre Paris et Dakar.

Cette exposition fut présentée à la galerie Le Manège, et est une suite de Métis dans les Villes. Elle met en scène, le trajet de mon grand père, de mon père, de mes sœurs et moi, de mon fils, de nos vies entre Paris et Dakar. D’où le titre.

Dans cette exposition, après appris plus sur mon grand-père, j‘ai tenté de mettre à l’honneur DM et l’histoire de sa famille.

4. Quelle résonance l’œuvre de Mapaté Diagne a-t-elle sur votre propre travail artistique ?
Lorsque j’ai découvert ce domaine en Casamance qu’il nous a légué, j’ai compris pourquoi j’avais tellement aimé le Guépard de Lampedusa et compris une partie de son message désespéré ; Le message d’un monarque qui voit sa dynastie sombrer dans un monde auquel il n‘appartient plus. J’ai également compris pourquoi certaines personnes refusaient un héritage trop lourd à porter. Je m’étais pourtant opposée depuis 30 ans, sans avoir vraiment vu ce domaine, à sa vente et sa dispersion.

« Nous étions les lions et les guépards… » phrase du prince de Salina à la fin du film de Luchino Visconti. Finalement l‘utopie de DM a croisé la mienne et celle de ce domaine, qu’il voulait comme un exemple d’équilibre entre architecture et réserve de plantations. Son rêve également de culture pour son pays, son combat pour l‘éducation sont présents dans ce lieu.

Mon projet et cette réhabilitation, continue son œuvre, dans ce lieu qu’il a conçu comme une folie du 18e siècle, comme une construction de l‘esprit, car je porte un projet, construit avec l’art et l’écriture.

Encore maintenant devant cette tache démesurée, sans aide aucune, devant l’indifférence et la destruction qui s‘opère contre ce que je mets en place, j’ai souvent envie de renoncer, et j ‘étais prête à le faire en novembre dernier. C’est un combat que je mène seule, entourée par le silence de l ‘état et de la Ville, dont DM est pourtant la personnalité historique. Sédhiou l’a tout de même récemment honoré d‘un panneau à son nom, devant la future université virtuelle.

Si je n’arrive pas à mener à bien cette réhabilitation, tout disparaîtra. Le temps, les moyens me sont comptés. J’ai croisé plusieurs personnes qui m’ont parlé de ce lieu à préserver à tout prix, et de la nécessité d’écrire sur la vie de DM. Un de mes amis, venu voir ce lieu et la réalisation des 30 sculptures pour l’allée centrale du domaine, L’Allée de la Reine, m’a dit : « Ce que tu vis, c’est Barrage contre le Pacifique ».

5. Mapaté Diagne est à présent méconnu en Afrique et plus particulièrement au Sénégal, même si un lycée porte son nom à Sédhiou. Comment expliquez-vous cet oubli de ce pionnier de la littérature sénégalaise en français ?
Le fait qu’il n’ait pas été porté par son éditeur, sans doute et que ses écrits ne faisaient pas partie d‘une collection. Être édité par exemple chez Présence africaine, ou un éditeur qui aurait une collection avec un travail sur les écrivains francophones, lui aurait sans doute, assuré une meilleure notoriété. Mais je pense qu’il y a également d’autres raisons. DM était plus préoccupé par l’avenir du Sénégal, que par son ambition personnelle.

Il y a eu également l’indifférence ou l‘incapacité de son fils, mon père, à défendre sa mémoire ; L’écrivain Diaïté Kaba, qui lui a étudié depuis 30 ans la vie et l’œuvre de DM, prépare un ouvrage sur sa vie et son œuvre. Il m’a raconté que mon père, un jour, brûla sa très riche bibliothèque, ses manuscrits, ses archives, ses courriers avec des écrivains dont Aimé Césaire… Le moins que l’on puisse dire c’est qu’il a tué le père. C’est une tragédie, c’est ce que j‘appelle La Bibliothèque disparue.

Je sais que les écrivains du Sénégal cherchent des manuscrits inédits de DM et c’est un travail de recherche que je voulais mener lors d’une résidence qui vient de m’être refusée par la Villa de Saint Louis. Rappelons que DM est né dans cette région et a écrit sur ces populations.

La famille de Sédhiou élargie, que je ne connaissais pas, a eu le mérite de préserver
son domaine ; mais il n’y a jamais eu de volonté et d‘intérêt pour Diagne Mapaté
comme intellectuel.

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L'ombre d'une sculpture

6. Vous vous activez pour faire revivre le nom et l’œuvre de Mapaté Diagne.
Quel intérêt représente-t-il pour les jeunes générations 100 ans après la publication de Les trois volontés de Malic ?
Je pense que le message principal de DM est celui d’une éthique, d’une ligne
morale, de la foi en l’éducation scolaire, et en la culture comme bien sacré.
Et c ‘est ce que je me plais à croire.

C’est cela qui était, me semble-t-il, le message des 3 volontés de Malic : Le refus de l’archaïsme, et le désir, avec la culture, d’une élévation à tout prix, même parfois contre son milieu. Mais je pense que cette ligne lui a coûté cher.

Cela peut sembler banal, mais lorsque je ne vois pas un livre dans beaucoup de maisons de Sédhiou, où seuls fleurissent sur de grands écrans de télévision, matchs de football, séries indiennes insipides et sirupeuses, je suis un peu désespérée.

Malgré tout, des enfants maintenant, viennent me demander des livres. D’autres viennent me voir et me disent : « On m’a dit que tu sais peindre, est-ce tu peux m’apprendre ? »

Et l’université virtuelle près du domaine de DM finira un jour, je l’espère, par être terminée et fonctionnelle. En attendant, lors de mon prochain voyage, je vais commencer à mettre en place une bibliothèque et un atelier de peinture pour les enfants.

Mapaté Diagne, avec son obstination, sa probité, son exigence, son travail acharné, a refusé la médiocrité et les compromissions.

C’est peut-être cela qui explique une partie de l’oubli qui l’entoure.

On me dit souvent que je suis comme lui. En Casamance, on m’appelle le petit Mapaté.

La Casamance. Voyage en taxi 7 places, avec un pare-brise qui tient avec du scotch.

Processus d'installation

2022  Installation des sculptures de l’Allée de la Reine

2019 Premières mosaïques au sol

2015 Début des sculptures de l’Allée de la Reine et construction de la première des 7 Folies

2012 Dessin du parc et tracé de l’Allée de la Reine

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